Médiation patrimoniale conventionnelle : regards croisés d’un notaire et de deux médiatrices

Le terme de médiation patrimoniale serait né d’un usage verbal des premiers juges du tribunal judiciaire de Nanterre favorables à la mise en oeuvre de ce processus à des affaires de succession, de liquidation de régime matrimonial et de partage d’indivision. Ce règlement amiable des conflits fait toujours appel à un acteur central : le médiateur. Pour dénouer la difficulté patrimoniale, il devra, au préalable, purger des histoires de famille, à l’origine de la discorde. Conventionnelle, la médiation peut naître d’une recommandation faite par le notaire à ses clients. Ce dernier tient un rôle préventif primordial dans l’avènement des conflits. Alexis Baudry, notaire associé chez Notaires Montmartre (Paris 18ème), Pauline Gorioux et Caroline Maurel, médiatrices familiales spécialisées en médiation patrimoniale, diplômées notaires et associées au Cabinet Médiaccord (Paris 16ème) partagent leurs expériences.

Comment savoir qu'un dossier est adapté à une médiation patrimoniale conventionnelle et comment se fait la mise en relation du couple, de la fratrie ou d'une famille avec médiateur ?

Caroline Maurel : Les dossiers en matière patrimoniale nous viennent du notaire. Il est le premier professionnel qui reçoit la famille quand elle amorce un changement : divorce, mariage, donation, succession… C’est lui qui va réfléchir aux solutions pour formaliser ce virage et ses conséquences. C’est aussi la première personne qui va voir le conflit. On estime à un pour dix la proportion de vrais dossiers conflictuels qui peuvent utilement se voir recommander la médiation.
Alexis Baudry : Dans l’ADN de tout notaire, il y a cette volonté de concilier, de rechercher des équilibres entre les parties. Il n’est en effet pas le notaire d’une partie mais celui d’un contrat. Lorsqu’il constate une tension et que les consentements ne sont pas exprimés librement et en pleine conscience, le notaire peut recommander aux clients d’aller en médiation plutôt que d’aller en justice. Pour identifier l’origine de la difficulté (qui n’est pas technique mais relationnelle), son premier travail sera d’écouter les clients (« Vous savez mon frère, il a toujours été… » ou « Ma soeur en 1975, elle a…), et de les amener à exprimer ce que chacun souhaite. Certains ne veulent ni discuter, ni se voir. D’autres veulent maintenir le conflit car , d’une certaine façon, il permet de maintenir la relation.
CM : La tâche peut être un peu ingrate pour le notaire qui doit annoncer : « vous êtes en conflit ».
AB : On peut mettre le mot « conflit », mais parfois ils le disent eux-mêmes. Ma formule c’est : « j’observe qu’il y a des difficultés qui empêchent le règlement amiable de la succession donc qu’est-ce que l’on fait ? ». Et je les associe finalement à mon constat. « Est-ce que vous voulez aller en justice pour que quelqu’un tranche? Est-ce que l’on essaie de trouver une solution ensemble? ». On va essayer de les réconcilier. Mais on est forcé de constater que, parfois, cela ne fonctionne pas parce qu’il faut donner aux parties un cadre particulier pour y arriver, en dehors de l’étude, et ce cadre se trouve dans la médiation.
CM : Et ce n’est pas un échec pour le notaire d’envoyer son client en médiation. Il le retrouve, après, apaisé.
AB : Certes, c’est une démarche parfois très difficile pour les clients de se retrouver autour de la table pour dialoguer mais le procédé est rapide et moins coûteux qu’une procédure judiciaire qui apportera une solution ne convenant pas forcément à tous. Et surtout, le but de la médiation est de maintenir et restaurer la relation familiale, y compris pour les générations futures, là où le juge va au contraire trancher donc diviser.
Pauline Gorioux : Quand la communication est rompue, c’est difficile de se réunir. La médiation donne la possibilité de dire: « vous avez un lieu où vous pouvez discuter, reconstruire une relation, collaborer ensemble vers une solution juridique ». Dans la médiation, ce sont les personnes qui sont invitées à s’exprimer pour trouver une solution acceptable pour tous, et non le notaire.

Comment se répartissent les rôles entre notaire et médiateur ?

CM : À chaque professionnel son rôle et sa compétence. Le médiateur n’a pas à entrer dans celui de conseil du notaire. On perd l’objet même de notre mission. On les renvoie vers le bon conseil (notaire, avocat…). Mais si on relève qu’ils partent vers une solution totalement illégale, on va le leur dire.
PG : Notre neutralité nous oblige à ne pas être conseil. Et les personnes doivent nous reconnaître dans cette neutralité. Deux options leur sont proposées. Voir préalablement le conseil afin qu’ils entendent un m^me discours, une même voix, au même moment. On veut faire venir le conseil en médiation, toujours en présence de parties. L’idée est de travailler avec tous les experts (expert-comptable, notaire, avocat, expert immobilier), main dans la main, sur l’avancée du dossier. C’est ainsi que l’on va favoriser le développement de la médiation.

Médiateur privé ou notaire médiateur... lequel choisir ?

AB : Notaire ou pas, l’important est qu’il s’agisse d’un professionnel formé spécialement. On ne s’improvise pas médiateur. Le notaire médiateur agit en qualité de médiateur. La Chambre des notaires de Paris dispose d’une liste de notaires médiateurs. C’est une proposition. Les clients, au même titre qu’ils choisissent leur notaire, ont le choix de celui ou celle qui va s’occuper de la médiation. L’intérêt du médiateur notaire c’est qu’il dispose de la technicité notariale pour la rédaction de l’acte qui suivra le règlement du conflit. Mais il reste médiateur dans ce cadre-là. Les solutions doivent venir des parties.

CM : Il y a toutefois un mélange des genres qui se fait dans l’esprit des clients qu’il y a lieu de clarifier. Neuf personnes sur 10, qui s’assoient face à nous, demandent : « vous êtes bien notaire? », pensant qu’un notaire, par facilité, va leur trouver la réponse. En outre, il peut être extrêmement difficile pour un notaire, même médiateur, de prendre de la hauteur, de mettre sa casquette de conseil de côté. Or c’est aux parties de trouver la solution dans le cadre de la médiation. Elle a pour objectif principal de traiter les questions relationnelles et humaines. Le dialogue une fois rétabli, il est possible d’aborder et de solutionner le blocage financier. Le notaire n’aura plus qu’à formaliser l’accord.
PG : Notre expertise de médiateur est au service de la résolution du conflit, pas du conseil sur le fond du dossier. Laisser imaginer les gens que l’on pourrait les conseiller c’est biaiser cette médiation. Le médiateur est neutre et impartial. Ce positionnement a exigé deux ans de formation, puis cinq ans de pratique au cours desquels on a évolué vers plus de neutralité et d’impartialité.
AB : Les clientes ont du notaire l’image d’un confident, qui est soumis au secret professionnel. Aussi cela leur paraît-il naturel que la médiation soit faite par lui qui est formé à cet effet. Cela ne me paraît pas antinomique.

À ce jour, la médiation patrimoniale porte sur des affaires de successions à hauteur de 35%, sur des liquidations de régimes pour 65%. Quels autres domaines, demain, pourraient emprunter le chemin du processus amiable?

CM : Le changement de régime matrimonial. Une bonne discussion en médiation avec les enfants avant de formaliser le changement, simplifierait les choses pour la suite.
PG : En médiation, on revient, dans le cadre des successions, sur le blocage, sur ce qui s’est passé dans le passé. Très souvent il prend naissance au moment du vieillissement et de la dépendance des parents.
CM : Un déséquilibre peut naître entre les enfants, pour celui qui va accompagner les parents, et qui trouvera qu’ensuite le partage égalitaire est injuste…
PG : … ou inversement à l’égard de celui quia été avantagé comme un juste retour de son investissement. On identifie le fait qu’il y a eu un loupé. Le conflit aurait pu être évité et nous le gérons trop tard, post-succession.
AB : À cause des maladies neurodégénératives, se pose la question du vieillissement des parents, de leur placement dans une maison médicalisée, de leur placement sous un régime de protection, du coût de la dépendance. Lorsqu’il n’y a pas eu d’anticipation, des discussions intra-familiales peuvent faire naître des conflits avant même le décès. Lorsque des enfants viennent vendre l’appartement de leur parent et que ce dernier n’est pas à même de le faire, il y a une décision familiale à prendre qui, si elle n’a pas été anticipée, peut donner lieu à des désaccords quant au choix du régime de protection à retenir. Le notaire a un grand rôle à jouer pour faire connaître les solutions (par exemple, le mandat de protection future) et pour associer les enfants. Il doit anticiper le conflit en sensibilisant ses clients encore en pleine santé, les inciter à faire un choix pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Comme on anticipe sa succession, on doit anticiper sa dépendance, mais pas que sur le plan financier.
CM : Effectivement, tout est dans l’anticipation. Les familles que nous recevons n’ont jamais communiqué ou très mal, surtout celles des générations passées. En anticipant, le parent peut expliquer pourquoi il fait le choix de désigner tuteur tel enfant, par exemple.
AB : Mais aujourd’hui cette décision doit être prise en concertation, et non plus imposée comme avant. Si, le testament est un acte unilatéral et personnel, là il faut une décision familiale. Ces situations de dépendance vont être de plus en plus lourdes de conséquences pour les enfants et ils doivent y consentir avant leur survenance.

Quelles sont alors les parties à la médiation ?

CM : Tout le monde dans la limite de la capacité de chacun. Tant que les parents sont vaillants et peuvent prendre cette décision, ils doivent être inclus dans la discussion parce que le père devra entendre la fille ainée expliquer pourquoi elle se sent pas d’assumer le rôle de tuteur.

Quelles sont les améliorations à apporter à la médiation patrimoniale conventionnelle ?

CM : Favoriser une meilleure collaboration entre professionnels. Appliquer, entre nous, cette méthode d’écoute active que l’on prône en médiation, savoir accompagner ensemble les familles en conflits.
PG : Mais une meilleure collaboration, cela veut dire aussi une meilleure connaissance de la médiation pour l’intégrer à sa pratique. Et des gens bien formés !
AB : Tout à fait. Et assurer auprès des citoyens une meilleure information sur l’efficacité de ce monde alternatif de règlements des conflits.
Propos recueillis par Audrey Tabuteau

Cabinet Mediaccord®

caroline maurel & Pauline gorioux-de la motte rouge

Médiateurs D.E. spécialisées en famille, patrimoine & succession

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